Sofia
Donc je convoque mes frères et sœurs, et je leur dis je vais vous poser une question, bon qui va vous paraître vraiment bizarre et, peut-être que je me trompe, et ça restera entre nous : je crois que papa est gay… 

Sofia a 39 ans et vit à Paris, elle est la petite dernière d’une fratrie de 3 enfants. Elle a eu une enfance heureuse, entourée par une famille aimante. Elle a grandi dans un cadre privilégié, avec un père avocat, souvent absent et une mère artiste-peintre qui s’occupait des enfants à la maison. 

Ses parents sont tous les deux issus de familles bourgeoises traditionnelles. Ils formaient un couple uni, fort d'une admiration mutuelle et d’une grande complicité intellectuelle mais Sofia a toujours eu le sentiment qu’il manquait une pièce au puzzle de leur tableau familial…

Sofia
Mes parents formaient un couple, ils étaient plus meilleurs amis. Je pense que je n’ai jamais vraiment vu de signes amoureux entre eux, j’ai vu des signes d’affection, des signes d’admiration éventuellement, de respect, d’échange, intellectuellement un vrai intérêt l’un pour l’autre, mais ce n’était pas de l’amour charnel. Et donc ils sont restés ensemble toute leur vie. 

Et quand ma mère est tombée malade, elle a commencé à me dire des choses. Elle me préparait beaucoup, donc elle me disait, tu sais ton père, il faudra que tu sois ouverte, que tu fasses le pont avec tes frères et soeurs, il ne faudra pas le juger, je me souviens de ses phrases qui revenaient souvent.

Ma mère l’a toujours su. 
Ça a été leur petit secret toute leur vie en fait. Jusqu'à la mort de ma mère. C’est plus tard que tout ça m’est revenu. 

Un jour, le père de Sofia lui donne le livre “Le garçon d’Italie” de Philippe Besson. Un roman a 3 voix : celle du mort qui observe les réactions de ses proches, celle d’une jeune femme qui va découvrir que son compagnon avait une double vie avec un homme et celle du jeune amant au cœur brisé. Le père de Sofia en a souligné des passages, comme s’il préférait confier à l’auteur du livre la tâche de dire ce qu’il ne parvenait pas à formuler à sa fille...

Sofia
Il me donne ce bouquin et il avait souligné des passages. Et c’est marrant parce que c’était tellement énorme, quand j’y pense, et notamment il y avait un passage magnifique, où il raconte pourquoi il n’a pas parlé, pourquoi est-ce qu’il ne l’a pas dit, au-delà du fait que c’est difficile à dire. 

À la lecture de ces quelques lignes Sofia s’interroge mais ne parvient pas encore à poser des mots sur la question. Les non dits occupent encore trop le terrain. Et puis c’est vers son frère et sa sœur qu’elle va se tourner pour les sonder à leur tour. 

Sofia
Je vais vous poser une question, ça va vous paraitre vraiment bizarre peut-être, peut-être que je me trompe, et ça restera entre nous, mais je crois que papa est gay. 
Et là je comprends qu’en fait chacun le savait depuis des années mais dans son coin sans jamais s’en parler en fait. 

C’est à ce moment-là que Sofia a décidé de faire sauter la chape de plomb qui pesait autour du silence de son père. C’est elle qui va le prendre par la main pour le libérer du poids de son secret, s’en affranchir elle aussi par la même occasion et l’aider à vivre son homosexualité au grand jour. 

Sofia
Si tu veux te remettre avec quelqu’un sache que j’en ai parlé avec mes frères et sœurs, on sera avec toi, on ne t’en voudra pas, n’ai pas de crainte par rapport à nous, mais arrête d’être malheureux dans ton coin, tu pèses 2g, tu es tout blanc, tu ne vois personne.
Et lui il m’a répondu « Ah non pas du tout, ta mère est la seule femme qui m’a fait rire, que j’admirais, que je trouvais belle, je préfèrerais autant me mettre avec un mec. » 
Donc je lui ai dit ben ok.
Et il a dit « oh ben tiens ça fait longtemps qu’on n’a pas vu Édouard. »

A partir de ce jour, Edouard qui était jusqu'ici présenté comme étant un ami de son père, s’est fait une place dans la famille. Il était là, aux côtés de son père pour les repas, ceux du quotidien et des jours de fête. Son père a repris des couleurs, comme délivré d’une charge. Ce fut une première étape sur son parcours d’acceptation. 

Sofia
C’était assumé sans l’être, c’était assumé par rapport à nous mais par rapport au reste du monde je ne sais pas.
Pourquoi ils ne l’ont pas dit, le poids de la famille, du regard des autres. 

Dix ans plus tard, Edouard et son père ont fini par officialiser leur union et vivre ouvertement, aux yeux de tous et de l'Etat, leur amour. 

Sofia
Le jour du mariage, je me souviens d’un moment très précis, où je l’ai vu rentrer dans la pièce avec son mari, il était heureux, j’ai vu ses yeux, ça faisait longtemps que je ne l’avais pas vu comme ça. Et j’ai comme une brique qui s’est barré de mon thorax. 

Cacher son homosexualité, cacher qui l’on est, à soi, aux siens, ce n’est pas seulement quelque chose que l’on ne dit pas. Pour reprendre les mots de Sofia, c’est comme une brique qu’on trimballe. Cette brique c’est le père de Sofia qui la portait et pourtant elle était lourde pour toute la famille : elle empêchait l’un de dire, et les autres de comprendre. 

Sofia
J’ai compris à ce moment-là à quel point ça avait dû être dur pour lui de mentir à tout le monde, de faire de la peine. De raconter des mensonges en permanence. 
Au mariage, il a dit que la route était longue mais aujourd’hui je suis heureux.

Le père de Sofia a eu besoin de temps pour affirmer son homosexualité et son amour pour son compagnon au regard des autres. Sofia, elle, a eu besoin de grandir pour ouvrir les yeux sur les difficultés que son père a éprouvées pour échapper au jugement des autres. Mais elle a eu la force de le rassurer, de lui dire que ce n’était pas un problème. Libéré, son père s’est autorisé à se montrer tel qu’il est à sa famille. Son mariage a été un moment heureux et salvateur, pour lui, pour son époux Édouard et pour Sofia, soulagée de voir enfin son père apaisé et comblé à 75 ans. La vérité est rassurante, elle donne du sens à cette histoire. Le père de Sofia aime un homme, et alors ? 

Sofia
Je trouve que le message de s’assumer et d’assumer son identité, ce que tu aimes, ce que tu es et de vivre avec ça c’est vachement important. Et quand tu fais des secrets comme ça, tu transmets un truc trop lourd. 

Nous avons tous un rôle important dans cette partition, nous devons agir, chacun à notre niveau, pour faire évoluer les mentalités. Pour que l’affirmation de son identité ou de son orientation sexuelle ne soit plus une étape douloureuse. 
Parce que contre l’intolérance, c’est à nous de faire la différence… comme Sofia.

Sofia
Aujourd’hui je fais la différence, en mettant un point d’honneur à ne pas créer de secret, de malentendu, de zone de flou, j’essaie d’être transparente dans mes relations, quelles soient avec mes amis, mes amants, mes frères et sœur, mon père.